Lundi 4 mai 2009 Du bout des doigts - Sarah Waters Attention, livre formidable et indispensable, comme l'indique le petit logo ci-contre que je sors pour la sixième fois en quinze mois, c'est dire... Malheureusement, je ne vais pas pouvoir en dire autant que je le souhaiterais puisque le livre est construit sur une série de révélations dont la première, page 236 m'a tout bonnement laissée sans voix, estomaquée. Oui, et ce n'était que la première, ce livre est d'une construction très subtile, diaboliquement maîtrisée, exactement comme je les aime. Voici donc le début de cette sombre histoire. 1862. Tout commence avec l'histoire a priori banale d'une jeune fille, Sue Trinder, seize ans, qui a grandi dans les bas quartiers de Londres chez une placeuse d'enfants et un receleur. Mais pas de misère cependant, le vol rapporte plutôt bien, et Sue est aimée de sa mère adoptive, Mrs. Sucksby. Compte tenu de son milieu social, elle est même plutôt préservée. Arrive un jour un aigrefin de leur connaissance, Gentleman, qui lui propose un marché : il connaît une riche héritière qui vit quasi cloîtrée avec son oncle et qui le jour de son mariage héritera d'une fortune considérable. Gentelman compte bien devenir son mari et Sue doit entrer à son service comme femme de chambre pour lui préparer la voie et le faire entrer dans ses bonnes grâces, voire même, dans son coeur. Une fois le mariage contracté, Gentleman et Sue feront enfermer l'héritière, Maud Lilly, dans une maison de fous. Et voilà notre Sue quittant la grouillante capitale pour Briar, morne demeure dont le propriétaire, Mr. Lilly, reste enfermé dans sa bibliothèque. Sue s'ennuie ferme, ne perdant cependant pas de vue le plan qui fera sa fortune. Les deux jeunes filles se découvrent et s'apprécient, plus qu'elles ne devraient pour la réussite du plan, mais Sue garde la tête froide. Comme je me retiens de ne pas vous en dire plus ! Je ne veux pas vous gâcher la lecture et pourtant, je sais qu'il faudrait aller plus loin pour vraiment vous donner envie de lire ce livre. Toute l'intrigue repose sur des non-dits, des complots et des passions refoulées. Malgré son style tout à fait victorien, dans la droite ligne de Dickens, il cache une intrigue des plus glauques, absolument machiavélique et époustouflante, parfois indécente pour l'époque, que le lecteur ébloui suit avec délectation tant elle est imparable. Tout est basé sur le secret, sur ce que le lecteur ne sait pas et qui ne lui est révélé que petit à petit. Je me permets de dévoiler que c'est Maud Lilly la narratrice de la seconde partie, avant de revenir à Sue dans une troisième. Et chacune de ces jeunes filles est vraiment magistralement campée. Le lecteur les suit, apprend à les connaître, à comprendre leurs motivations, leurs sentiments, quand tout à coup : patatra ! Elles ne sont pas ce que l'on croit. Personnellement, j'adore ! Les deux jeunes filles sont aussi réussies l'une que l'autre et les personnages secondaires sont parfaits, aussi crédibles que si l'on se promenait dans l'Angleterre du XIXe siècle. Et malgré plus de sept cents pages, aucune longueur, aucun temps mort pour me faire arrêter ma lecture, au contraire, c'est mon sommeil qui en a pâti. Dès les premières pages, j'ai su que ce roman me plairait et l'écriture de Sarah Waters ne tarit jamais. Il s'inscrit dans la lignée des romans populaires du XIXè siècle tout en intégrant des éléments qu'il aurait été impensable d'y trouver sous peine de choquer les bonnes moeurs. Un grand bonheur de lecture que je voudrait vous faire partager parce que c'est du pur romanesque et qu'il vous enchantera, j'en suis sûre. Mais pourquoi ai-je attendu si longtemps pour lire Sarah Waters... Les avis de Nibelheim, Choupynette et Saxaoul tout aussi enthousiastes ! Du bout des doigts Sarah Waters traduite de l'anglais par Erika Abrams 10/18, 2005 ISBN : 2-264-04107-2 6 749 pages - 11 € Fingersmith,parution en Grande Bretagne : 2002 5 Les maîtres de Glenmarkie - Jean-Pierre Ohl Un manoir écossais qui menace ruine, un libraire nommé Walpole et un prêtre qui répond au doux nom de Ebenezer Krook. De quoi tenter, rien qu'avec ça, bien des amateurs de littérature britannique. Mais ça ne s'arrête pas là car l'intrigue est au moins aussi consistante que la brume des lochs écossais. Deux fils narratifs construisent ce livre (enfin pour commencer, car ils seront liés à d'autres histoires ressurgies du passé), dont l'action principale se déroule dans les années 1950 : Ebenezer Krook, prêtre catholique, commet le péché de chair avec Mary Guthrie, fille du bedeau d'Islay. Il s'enfuit et atterrit à Edimbourg où, grâce à un providentiel journaliste, il est engagé par Arthur Walpole pour travailler dans sa librairie. Pas n'importe laquelle, celle où on vend "seulement des livres parus depuis au moins cinquante ans". Pas vraiment motivé Ebenezer, et pourtant intrigué, d'autant plus qu'apparaît sur les rayonnages l'exemplaire de Martin Eden ayant appartenu à son père... De son côté Mary Guthrie entame des études de lettres à Edimbourg sous le patronage d'André Borel. Elle veut suivre les traces de sir Thomas Lockhart de Glenmarkie bien curieux personnage, écrivain à ses heures, qui mourut de rire en 1660. Borel veut du nouveau, elle se rend donc à Glenmarkie et rencontre le maître des lieux, sir James, un obnubilé du dictionnaire. Il lui donne accès à un bien énigmatique secrétaire, meuble construit sur mesure par un non moins excentrique seigneur de Glenmarkie, sir Alexander qui, dit-on, avait mis la main sur le trésor de sir Thomas qui lui permit de vivre la belle vie en Europe en engrossant de-ci de-là deux trois servantes. D'ailleurs l'une d'elle, Catherine Grant, a jadis fui le château avec au doigt un incroyable diamant. Si vous aimez les intrigues complexes, les récits qui s'imbriquent avec virtuosité, ce livre est fait pour vous. Et si en plus, vous appréciez Dickens, Stevenson, Shakespeare et autres grands maîtres de la littérature britannique, vous lirez ce roman avec jubilation, je n'en doute pas. Les références foisonnent, sans pour autant frustrer le néophyte, pour nous offrir un roman qui résonne comme un hommage aux livres et à la lecture. Et aux personnages aussi, ces personnages incroyables, inoubliables, drôles et farfelus qui marquent la littérature. Ce Thomas Lockhart est l'un d'entre eux, de même que son descendant, le lubrique sir Alexander. De ces olibrius qui font parler d'eux des siècles après leur mort, que la légende habille de plus de turpitudes encore que la réalité a bien voulu leur en faire vivre. Alors, de la patrie du single malt à l'Espagne en guerre, vous suivrez forcément ces formidables personnages, ouvrant vous aussi les uns après les autres les tiroirs de cette intrigue complexe parfaitement bien maîtrisée. Utilisant les ingrédients rebattus du roman gothique (manoir délabré, crypte, fantôme), Jean-Pierre Ohl parvient à étonner et à tenir en haleine son lecteur grâce à ces passionnés de livres. Ebenezer Krook à la recherche de lui-même découvrira bien plus que "cet incroyable personnage qui meurt de combustion spontanée, et se transforme sans préavis en un tas de cendres fumantes". Roman absolument déconseillé à ceux qui ne veulent pas être tentés de se (re)plonger dans Dickens, Scott, Stevenson et autres grands maîtres chers aux Victoriens de coeur ! Lou a adoré ; beaucoup de plaisir aussi chez Sentinelle, Chiffonnette, Celsmoon et Orchidée, un peu moins chez Brize Les maîtres de Glenmarkie Jean-Pierre Ohl Gallimard, 2008 ISBN : 978-2-07-012147-2 - 360 pages - 20 € L'odyssée de Pénélope - Margaret Atwood Tout le monde connaît Pénéloppe, la patiente et fidèle épouse d'Ulysse. Pas de quoi faire un roman de cette vie passée à attendre un mari qui se bat, voyage, aime et sauve sa peau tous les quatre matins, bref, qui donne un sens à sa vie. Il est entré dans l'Histoire, ou au moins dans la Mythologie, par la grande porte, laissant derrière lui sa pâle épouse. Margaret Atwood, auteur canadien par ailleurs connue pour ses convictions féministes, a voulu offrir un destin à ce second rôle en lui donnant la parole pour qu'elle raconte son histoire et donc celle de son mythique époux. Certains faits sont connus de l'amateur de mythologie grecque, d'autres, nombreux, sont de l'invention de l'auteur et donnent du piquant au récit. Comme ses rapports avec sa belle-mère Anticlée ou l'ex-nourrice d'Ulysse, Euryclée, et l'exécrable personnalité d'Hélène, un monstre d'égoïsme et de luxure. Et que fait Pénélope une fois la guerre de Troie achevée et son mari pas encore rentré ? Eh bien, elle déprime : "Souvent, la nuit, je m'endormais en pleurant ou en priant les dieux soit de me rendre mon mari adoré, soit de me faire l'aumône d'une mort rapide." Et moi je me dis : c'est bien la peine de reprendre l'histoire de Pénélope pour en faire une femme aussi terne. Le récit de sa vie est aussi ennuyeux qu'on pouvait le prévoir, sauf que j'espérais que Magaret Atwood lui mitonnerait un destin haut en couleurs, inconnu de tous et tragique, au moins... Elle repousse les prétendants qui en ont après son lit et son royaume, mais n'en essaye même pas un, la gourde, se contentant de "rêver tout éveillée à celui avec lequel [elle] préfèrerai[t] coucher, s'il fallait un jour en arriver à cette extrémité." Pourtant, le récit de ses servantes qui entrecoupe son propre monologue, laisse à penser qu'elle n'a pas été aussi sage qu'elle le prétend. Soit. Tant mieux. Mais si frasques il y a eu, elle les garde pour elle et le lecteur n'a droit qu'au récit ennuyeux de son indéfectible fidélité... Quelques passages humoristiques sont cependant les bienvenus, en particulier ceux qui évoquent les exploits on ne peut plus prosaïques d'Ulysse, que la légende embellira : "Ulysse avait livré bataille à un Cyclope géant, affirmaient les uns ; non, ripostaient les autres, il s'agissait plutôt d'un aubergiste borgne, et le différend portait sur une note impayée."La version anoblie sied bien sûr mieux à la stature d'un héros... Le langage moderne utilisé par Pénélope m'a moins convaincue, me semblant assez artificiel. Je ressors donc plutôt déçue de cette lecture. C'est le second livre de Margaret Atwood que je lis et le premier, Le dernier homme, ne m'avait guère enthousiasmée non plus... L'avis d'Argantel qui a proposé ce livre pour la chaîne, ceux de Yohan, Emmyne et Virginie, les enchaînés précédents, ainsi que Fashion et Yueyin, enchantées de leur lecture, et qui ont un métro d'avance. L'odyssée de Pénélope Margaret Atwood traduite de l'anglais par Lori Saint-Martin & Paul Gagné Flammarion, 2005 ISBN : 2-08-068594-5 - 159 pages - 14 € The Penelopiad, parution au Canada : 2005 Pas vous ? Et pour ceux qui ne connaîtraient pas l'origine de ce badge, c'est ici Toxic Planet - David Ratte « On vous l’avait bien dit ! A force de faire tourner les usines à fond et de polluer sans réfléchir, tout le monde est obligé de porter des masques à gaz. Et c’est pas prêt de s’arranger… Bienvenue sur Toxic Planet ! » Eh oui, on y est arrivé, la Terre est fichue, mais il reste des hommes dessus, obligés de vivre en permanence avec un masque à gaz (les chiens aussi d’ailleurs). Sam et sa copine Daphné forment un petit couple sympa, genre « Un gars, une fille » et hébergent leur vieille mamie, qu’ils perdent à l’occasion dans l’appartement enfumé ou enferment dans le frigo les jours de canicule. C’est que Sam a été élevé par sa grand-mère, ses parents s’étant vu retirer sa garde suite à leur militantisme écologique. Sam travaille dans une usine, forcément, où son collègue Tran essaie de sensibiliser le personnel aux dangers de la pollution et du bouleversement climatique (serait-il membre de l’infâme mouvement activiste « Flower Power » qui dégrade les bâtiments publics en y taguant des fleurs ?). Pluies acides, fonte de la banquise, restriction d’eau, rien n’est épargné aux humains. Daphné, la sexy, voudrait réveiller la conscience écologique de Sam, mais il est pragmatique et préfère ne pas se poser de questions, c’est bien plus simple… Il est frustré aussi le pauvre, il aimerait bien draguer de temps en temps, mais comment faire avec un masque à gaz… Mais le pire qui leur soit arrivé est sûrement le président des états mondiaux unifiés. Petit, prétentieux, mégalomane, il me fait penser à quelqu’un, c’est drôle… Et sa visite dégustation au salon de l’agriculture transgénique ne lui vaut que vingt-cinq jours de coma, les plus méchants sont les plus résistants, c’est bien connu… Trois tomes sortis, toujours meilleurs. Des gags d’une page ou une demi page, absolument drôles et pessimistes, toujours hilarants. Parfois cyniques aussi, comme la découverte d’un virus efficace qui permet aux malades de mourir en une semaine au lieu de trois, « je vous dis pas les économies ». C’est que tout devient difficile dans ce monde surpollué : planter son parasol à la plage sans percer un pipeline ou se griser d’odeurs de baleines en décomposition, aller à la piscine sans être rongé par le chlore et les antibactériens, jouer au foot (à cause de la fumée sur les stades), ou bien s’embrasser, tout simplement s’embrasser… Au lieu de nous faire pleurer sur l’état de la planète, David Ratte a décidé de nous faire rire. La construction en sketches forme quand même un tout, avec des protagonistes récurrents qui font comme ils peuvent dans cette atmosphère de fin du monde. Dans le troisième opus, c’est Orchidéa, la petite sœur de Sam qui tient la vedette, elle a du caractère la gamine ! Et l’éternel président qui décide de déclencher une guerre contre le Kakaweit, à coups d’attentats fictifs à mourir de rire. Sur le mode humoristique, tout le monde en prend pour son grade : dirigeants, écologistes radicaux, agriculteurs, industriels pollueurs et indifférents de tout poil. C’est drôle, intelligent et en plus, c’est beau. A dominante verdâtres et brunes, forcement, les couleurs sont lumineuses, le trait précis et la fumée, omniprésente… Lisez Toxic Planet c’est drôle, très drôle, et ça n’empêche pas de réfléchir à la responsabilité de chacun dans le marasme ambiant. Tome 1 : Milieu naturel, 2006, Paquet Tome 2 : Espèce menacée, 2007, Paquet Tome 3 : Retour de flamme, 2008, Paquet La vague - Dennis Gansel Comment sensibiliser des lycéens au thème de la dictature ? Et pas n'importe quels lycéens, des jeunes Allemands qui en ont marre du sentiment de culpabilité de leur peuple : ils n'étaient pas nés à l'époque, qu'on leur fiche la paix avec ça. D'ailleurs selon eux, il est impossible de voir émerger une nouvelle dictature dans le pays, les Allemands ont été assez prévenus. Leur prof, Rainer Wenger (Jürgen Vogel), n'est pas très en phase non plus avec l'autocratie, lui c'est plutôt l'anarchie, d'ailleurs, il ne fait aucun doute qu'il est un prof différent des autres, que les élèves tutoient et appellent par son prénom. Plutôt que de les plonger dans la théorie et les livres, il choisit donc la carte du vécu. Fini donc Rainer, désormais ça sera Herr Wenger et on lui demande la parole avant de se lever pour parler, chacun son tour. Bientôt, ils se choisissent un nom, La Vague, un uniforme, chemise blanche pour tout le monde, un emblème et un salut. Ce que le professeur ignore, c'est que l'expérience se poursuit à l'extérieur : les membres de La Vague se retrouvent entre eux, excluent ceux qui ne portent pas la chemise blanche, taguent leur emblème partout en ville. Petit à petit, la solidarité qui les lie et dont ils sont si fiers transforme les autres en marginaux, voire pire. Quand Rainer Wenger se rend compte des proportions dangereuses qu'a pris son expérience, il est trop tard : La Vague est devenue incontrôlable et la violence s'en mêle. Un film très dur et d'autant plus percutant qu'il est inspiré de faits réels qui ont eu lieu aux Etats-Unis. Bien sûr, replacés en Allemagne, ils prennent une dimension encore plus symbolique. Il est clair au départ que ces jeunes lycéens bien sympathiques n'ont rien de néo-nazis : cette expérience est pour eux l'occasion de valoriser l'esprit de communauté, la solidarité et l'identité. Mais La Vague prend le pas sur les individus qui peuvent ainsi affirmer leur puissance par voie de violence et de discrimination. La plupart de ces jeunes gens sont bien trop désoeuvrés pour réagir et prompts à se trouver un gourou charismatique. Ils sont fragiles et manipulables et rien de ce qu'ils ont appris ne leur est utile. La seule qui s'oppose à cet embrigadement, en pressent les dangers, est rejetée par ceux qu'elle pensait être ses amis. Aucun doute, le film est démonstratif. Se déroulant sur une semaine, les événements vont trop vite pour être tout à fait crédibles : le réalisateur aurait gagné à faire durer son intrigue sur au moins un mois et ainsi évité quelques raccourcis assez caricaturaux. Mais le film n'en reste pas moins très fort, Dennis Gansel choisissant la carte de l'extrême pessimisme avec une fin beaucoup plus tragique que celle du roman éponyme de Todd Strasser dont il est tiré. J'ai vu ce film dans le cadre de la vingtième édition du film allemand de ma ville. La même semaine, j'ai pu également apprécier Berlin, symphonie d'une grande ville de Walther Ruttmann (1927) et Le cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene (1919), tous deux muets et mis en musique dans la salle. Vive le Prokino ! La vague de Dennis Gansel Avec : Jürgen Vogel, Frederick Lau, Max Rielmelt... Sortie nationale : 4 mars 2009 - durée : 1h 48 Du bon usage des étoiles - Dominique Fortier Après ma lecture fascinée de Terreur de l'Américain Dan Simmons, j'ai décidé d'en savoir plus sur l'expédition John Franklin. J'ai commencé avec le documentaire d'Anne Pons, John Franklin, l'homme qui mangea ses bottes, et grâce à Caro[line] qui m'a très gentiment prêté ce livre, voici à nouveau un roman sur le même sujet, cette terrible expédition britannique partie à la découverte du mythique passage du Nord-Ouest en 1845 et dont aucun membre n'est jamais revenu. Disons d'emblée que j'ai été assez déçue et que je crois qu'avec Terreur, j'ai lu ce que la fiction pouvait produire de mieux à partir de cette terrible réalité. Comme Dan Simmons, Dominique Fortier s'empare des maigres éléments découverts plus ou moins récemment concernant la période qui suivit le départ des deux navires. Comme ils sont assez succincts, le roman repose pour moitié sur la vie de Jane Franklin, femme hors norme pour l'époque, qui batailla pour envoyer des secours à son mari. J'ai trouvé extrêmement longs certains passages sur ses soirées, ses bals, ses tea parties en compagnie de la fine fleur de la marine anglaise. Très peu de pages sont finalement consacrées au calvaire de l'expédition, à leurs souffrances, leur cohabitation. Dan Simmons s'est magistralement emparé de cette histoire, il a su imaginer les tensions, recréer une atmosphère suffocante, le désespoir, les vaines tentatives, les périples tous plus hasardeux les uns que les autres... Bien sûr, il donne dans la veine fantastique et donc introduit un élément totalement irrationnel, mais un roman plus réaliste, comme celui de Dominique Fortier devrait pouvoir créer la même ambiance si terrible que je n'ai pas trouvée ici. Où sont la peur, l'angoisse, le désespoir, la promiscuité, l'abominable tentation du cannibalisme et la mort toujours présente au fur et à mesure que passent les mois, puis les années, avec des navires irrémédiablement englacés et une perspective infiniment et désespérément blanche et froide ? Ils ont eu peur, ils ont eu faim, et surtout ils ont eu froid ces hommes, et en lisant ce livre je ne l'ai pas ressenti. Bref, l'émotion si prégnante chez Simmons est ici absente, d'autant plus que le roman est ponctué d'intermèdes comiques (enfin, je suppose...) comme une recette de plum pudding (à vous dégoûter de la nourriture anglaise !). Les personnages de Simmons sont bien plus profonds, bien plus fouillés que ceux de Fortier, évidemment, puisqu'il s'est donné la peine d'en faire plus de sept cents pages ! C'est que cette histoire est un concentré de tragédie, une manne romanesque grâce à ses immenses zones d'ombre qui sont autant de propositions pour un maître comme Simmons. Son imagination a su ordonner et concentrer toutes les potentialités de cette aventure et lui donner une portée à la fois humaine et universelle. Pour moi, le roman de Dominique Fortier manque d'ambition, de souffle romanesque et ne va pas à l'essentiel en se diluant dans des intermèdes inutiles. Les avis de Cuné, Louis, Catherine (Biblioblog), Fashion et Caro[line] bien sûr que je remercie pour le prêt. Ce roman est en lice pour le prix Biblioblog 2009. Du bon usage des étoiles Dominique Fortier Alto, 2008 ISBN : 978-2-923550-15-2 - 344 pages - 24,95 $ Dans la brume électrique - Bertrand Tavernier Le lieutenant Dave Robichaux découvre le cadavre d'une jeune fille dans un bayou de Louisiane. Violée, éviscérée, cette jeune prostituée semble avoir été victime d'un maniaque. Peu de temps après, le quasi squelette d'un Noir enchaîné est mis à jour grâce au témoignage d'une star de cinéma (et au passage de l'ouragan Katrina). Pour Robichaux, ces deux meurtres sont liés. Il va enquêter autour d'un mafieux local qui a investi dans le film en cours de tournage, se fera tirer dessus et sa fille sera enlevée. Classique. Ce qui l'est moins, c'est qu'il a des visions : lui apparaissent régulièrement des confédérés errant dans les marais, et en particulier leur général qui lui donne toutes sortes de conseils. C'est que comme l'acteur qu'il finit par recueillir chez lui, Robichaux a des problèmes avec la bouteille. Alors délire d'alcoolique et réminiscence d'un passé qui s'accroche à la terre et aux hommes dans la brume épaisse de la Louisiane plus que jamais sudiste ? Et bien je ne sais pas... un peu des deux certainement. Ces apparitions qui donnent une touche quelque peu fantasmagorique au film ne m'ont pas parues ridicules ou inutiles, au contraire : elles enracinent le héros dans une terre et une histoire qui le cernent. Là où je suis beaucoup plus sceptique, c'est sur l'histoire elle-même et les personnages. Je n'ai pas lu le livre de James Lee Burke dont ce film est tiré, mais le moins qu'on puisse dire c'est que j'ai trouvé tout ça assez confus. Pourquoi Robichaux lie-t-il le meurtre de la jeune fille et celui du Noir quarante ans auparavant ? Pourquoi l'acteur qu'il a arrêté pour conduite en état d'ivresse vient-il chercher des bières chez lui ? Quand à la fin, le meurtrier est dévoilé, on ne sait absolument rien de ses motivations, ni de la nature réelle de ses liens avec le mafieux local. Et puis je m'attendais à être éblouie par Tommy Lee Jones, ce qui n'est pas du tout le cas : son jeu est assez froid et son visage très marqué inexpressif. Il est censé lutter contre l'alcool, ce qui ne m'a pas du tout sauté aux yeux. Il paraît bien loin de son rôle... Quant aux deux stars hollywoodiennes, franchement, elles ne sont absolument pas crédibles. Et que dire de l'agent du FBI, aussi convaincante que moi en danseuse étoile... Beaucoup des relations entre les personnages me semblent trop superficielles pour faire exister les personnages et leur donner une véritable stature (qui est en fait John Goodman ?). J'avais envie de voir ce qu'un réalisateur français peut faire outre-Atlantique et j'ai été déçue (vous êtes prévenus, rien à voir avec Le Cinquième élément !). Le seul intérêt à mes yeux réside dans les décors : la Louisiane est vraiment un état particulier, tout en marais et en végétation anarchique, embrumée au possible et inhospitalière pour qui n'est pas du cru. Tout en contrastes (tour à tour paisible et inquiétant), le bayou est un personnage à part entière. Le billet d'Aifelle qui vous donnera certainement envie de voir ce film, celui de Dominique un peu moins... Dans la brume électrique de Bertrand Tavernier Avec : Tommy Lee Jones, Peter Sarsgaard, Kelly Mac Donald Sortie nationale : 15 avril 2009 - Durée : 1 h 57 Grand plaisir pour petit swap Voilà mon colis du swapounet organisé par Armande bien arrivé chez moi. Il s'agissait d'offrir une panoplie de blogueur, c'est-y pas une bonne idée ! Et double surprise, ma swapeuse était un swapeur, en la personne de Julien qui participait ainsi à son tout premier swap, quelle épreuve ! Parce que oui, je le reconnais, je ne suis pas une participante facile... Si donc vous vous demandez, comme moi, à quoi ressemble Julien, vous pouvez désormais l'imaginer chauve : il s'est séparé de ses derniers cheveux pour me faire plaisir ! Et voyez en images qu'il a bien fait les choses : Il y a donc deux livres (ben oui, deux, parce que comme je ne voulais pas de tapis de souris - j'aime pas ces bêtes-là ! -, il s'est transformé !), un porte-mine (ah, ça tombe bien, je les explose en deux temps trois mouvements - comment ça je suis nerveuse !), un magnifique carnet, vraiment très classe et deux marque-pages. Ah oui, je précise, j'ai choisi la catégorie "virile", parce que les carnets et autres avec des fleurs dessus, c'est pas mon truc (comment ça je suis difficile !?). Bon et ces livres, les voici : Je n'ai lu aucun des deux, c'est parfait. Et certains remarqueront peut-être qu'on m'a déjà offert un livre de Nathaniel Hawthorne lors du swap Saint Valentin : cet auteur doit être fait pour moi ! Quant à Edith Wharton, je ne l'ai jamais lue, et j'ai de plus très envie de voir l'adaptation tirée de ce livre avec le très beau Daniel Day Lewis. Je ne sais pas vous, mais moi je vote pour l'intronisation de Julien dans la confrérie si généreuse des swapeuses ! Un grand merci à toi Julien, pour le soin et le temps apportés à la confection de ce mini swap. Je suis ravie ! Mysterious Skin - Scott Heim "L’été de mes huit ans, cinq heures de ma vie ont disparu. Je ne me l’explique pas. Je me souviens de deux choses : d’abord, j'étais assis sur le banc pendant le match de base-ball de 19 heures ; ensuite, je me suis réveillé dans le vide sanitaire sous la maison, vers minuit. Ce qui a bien pu se passer durant ce laps de temps reste flou". C'est la première phrase du roman ; voici la dernière : "Mais la réalité est tout autre". Entre les deux, Brian cherche, il veut savoir ce qui s'est passé ce jour-là, pourquoi il a oublié. Il s'est construit une histoire, un enlèvement par des extra-terrestres, qui lui permet de remplir les blancs de sa mémoire et de focaliser sur l'espace, l'ailleurs, là où il n'y a pas d'entraîneur de base-ball qui distribue des bonbons et de l'argent aux petits garçons qu'il emmène chez lui. Les questions que se pose Brian, Neil en a les réponses : il était consentant lui, du moins s'en persuadait-il, heureux d'être l'objet d'amour de cet homme admiré. Mais Brian et Neil ne se connaissent pas, celui-ci évoluant dans les milieux gays dès son plus jeune âge, pour finir par se prostituer dans un besoin insatiable de sexe et d'hommes toujours plus vieux que lui. Neil assume son homosexualité avec effronterie, avec arrogance même, multipliant les expériences, se grisant de délinquance, tandis que Brian est toujours plus seul, assailli par des rêves qu'il raccroche désespérément à son histoire d'extra-terrestres. Alternant les points de vue des deux garçons et de leurs proches, autant dire que Scott Heim nous propose un livre dont la lecture n'est pas de tout repos. Les descriptions sont nombreuses et froides de ces actes sexuels révoltants quand il s'agit d'enfants. Rien n'est épargné au lecteur, mais le plus perturbant reste l'attitude de Neil, enfant de huit ans qui pousse l'admiration jusqu'à la soumission et se dit pleinement heureux. On comprend l'attitude de Brian, traumatisé par cette expérience, alors que Neil déroute. C'est qu'il emprunte un autre chemin, tout aussi destructeur, si ce n'est plus, pour signifier une vie brisée. A aucun moment l'auteur ne s'attendrit, jamais il ne cherche le larmoyant pour décrire le sort d'enfants victimes de pédophiles. Au contraire. Il n'est jamais question de violence ou de souffrance entre Neil et son entraîneur, mais de douceur, de tendresse. C'est extrêmement troublant parce qu'à l'encontre de ce qu'on voudrait lire. Quelque chose à voir sans doute avec la beauté de la violence qui peut certes choquer, en tout cas interroger. On touche à l'insupportable et pourtant on lit, parce qu'on est au coeur du problème, de l'ambiguïté, bien au-delà de la simple révolte. En accompagnant ces deux enfants, puis adolescents, complètement seuls face à leur traumatisme, on a plus envie de comprendre que de hurler. Comment peuvent-ils vivre, raccommoder leur vie, appréhender la sexualité... L'auteur ne fournit pas de réponses : il expose et interroge. Un film a été tiré de ce roman, que sans doute je ne verrai pas... C'est le récent billet de Karine:) qui m'a donné envie de ressortir ce livre de ma PAL : merci. Lecture éprouvante et pourtant nécessaire. Mysterious Skin Scott Heim traduit de l'anglais par Christophe Grosdidier J'ai Lu, 2007 ISBN : 978-2-290-35499-5 - 344 pages - 6,70 € Mysterious Skin, parution aux Etats-Unis : 1995 Dimanche 12 avril 2009 Est-ce ainsi que les femmes meurent - Didier Decoin Mars 1964, New-York. Kitty Genovese est assassinée au pied de son immeuble du Queens à la vue de dizaines de personnes. Son martyre dura trente minutes et personne ne lui porta assistance. Peu de temps après, son assassin, Winston Moseley, père de famille sans histoires, est arrêté et avoue tout, et plus. Lily résume les faits bien mieux que moi. Didier Decoin s'empare de ce fait divers terrible pour en faire un roman. Je partage bien sûr l'indignation de l'auteur et des lecteurs devant une telle apathie, devant le silence de ces gens qui n'ont rien fait, rien dit, même pas décroché leur téléphone pour appeler la police. Quand enfin une jeune femme, seule et mère d'un bébé, descend l'escalier car elle vient d'entendre les cris de Kitty, il est trop tard. Et il n'y a eu qu'une faible femme pour porter secours à une autre, une femme qui ignorait si le meurtrier était encore là ou non, alors que le liftier de l'immeuble d'en face a assisté au crime. C'est révoltant au-delà du possible, c'est la lâcheté de l'être humain, c'est pourtant le moment de se demander ce que nous aurions fait dans les mêmes circonstances. J'ignorais tout de cette histoire et l'enquête m'a intéressée. Je m'attarderai plutôt sur la forme qui elle, ne m'a pas convaincue. Didier Decoin se sert d'un habitant fictif de l'immeuble qui aurait été absent au moment des faits, un "innocent" donc, pour donner voix à son histoire. Il prête pourtant à Kitty et à d'autres victimes des sentiments tout droit sortis de l'imagination de l'auteur. Et je ne vois pas du tout en quoi cette histoire avait besoin d'être ainsi romancée, parce qu'elle a en fait la froideur d'un compte-rendu et que les quelques faits qui personnalisent le narrateur et sa femme n'ont aucun intérêt dans l'histoire. Pour une collection intitulée "Ceci n'est pas un fait divers", l'auteur a dû se sentir obligé de romancer un drame qui n'avait pas besoin de l'être, en tout cas pas sous cette forme sèche qui n'apporte rien. D'autant plus que le lecteur sait tout de "l'intrigue" et du meurtrier et que le suspense d'un thriller ou d'un roman policier est absent. A mon humble avis, la forme est bâtarde et ne sert pas la lecture. Malgré le petit nombre de pages, j'ai donc réussi à m'ennuyer... C'est le billet très enthousiaste de Jules qui a attiré mon attention sur ce livre, et c'est Malice qui me l'a prêté : un grand merci ! Egalement les avis de Clarabel, Bab's, Praline, Lou et Anne Est-ce ainsi que les femmes meurent ? Didier Decoin Grasset, 2009 ISBN : 978-2-246-68221-9 - 226 pages - 17,90 € 9 De beaux lendemains - Russell Banks Une petite ville des États-Unis un jour d'hiver particulièrement froid. La conductrice du bus scolaire perd le contrôle de son véhicule et quatorze enfants sont tués. Pas elle, ni Nicole Burnell, jeune adolescente, et toutes deux racontent l'accident et la vie des habitants après. De même Billy Ansel, veuf, qui perd ses deux jumeaux et reste seul face à la douleur avec l'alcool pour seul compagnon. A ces trois voix s'ajoute celle de Mitchell Stephens, avocat new-yorkais qui veut que des responsables soient désignés, qu'il y ait procès. Pourquoi s'acharne-t-il ? Pour que ce genre de tragédie ne se renouvelle pas ? Pour qu'un responsable endosse la douleur ? Pour donner un nom au malheur, ce malheur qui s'acharne sur sa fille qui s'enfonce chaque jour un peu plus dans la drogue ? Certains parents acceptent de se faire représenter par Stephens, alors que Billy Ansell ne veut pas de procès, surtout personne pour raviver la douleur et la laisser à vif. Ces quatre destins nous font entrer de plain-pied dans la vie de ce village, au coeur d'un drame terrible qui changea à tout jamais la vie de ses habitants, qu'ils aient ou non été victimes au premier plan. Et malgré l'intimité qui se tisse entre le lecteur et les personnages, Russell Banks ne donne pas dans le voyeurisme. Avec une étonnante économie de mots, il suggère plus qu'il n'impose les vies et moeurs parfois extrêmement troubles de tous ces gens. De cette sobriété, Atom Egoyan tira un film (1997) qui ne l'est pas moins. Beaucoup plus complexe dans sa construction que le livre, il joue entre l'avant et l'après accident et donne à Michell Stephens (Ian Holm, le Bilbo de Peter Jackson) le rôle central. Son acharnement est particulièrement détestable : il représente ce besoin des Américcains de faire procès de tout, même de la douleur. Il harcèle des parents bouleversés, cherchant à les convaincre qu'ils pourront gagner et être indemnisés pour la perte de leur enfant. Et pourtant lui-même est un père souffrant, qui ne peut rien pour sa fille, si ce n'est payer. L'ambiguïté fait tout l'intérêt du personnage qui aime et souffre de son impuissance. A la douleur de voir mourir son enfant répond parfois un acharnement qui canalise les émotions, leur donne un but, une raison d'être. Banks et Egoyan parviennent tous deux à l'émotion sans aucune scène larmoyante, sans aucun pathos. On peut de ce fait trouver froids le livre comme le film que je qualifierais plutôt de sobres. Sobriété de style pour servir la dignité des personnages fragiles, faibles ou déterminés, tout simplement et densément humains. Les avis de Sylire, Anne, Dominique, Amanda, Manu De beaux lendemains 3.5 Russell Banks traduit de l'américain par Christine Le Boeuf Actes Sud (Babel n°294), 1997 ISBN :978-2-7427-1444-5 - 326 pages - 8,50 € The Sweet Hereafter, parution aux Etats-Unis : 1991 Gran Torino - Clint Eastwood Walt Kowalski est vraiment un type détestable : raciste, vieux, intolérant, il ne s'intéresse qu'à sa voiture, une Ford Gran Torino 1972 qu'il astique et surveille de tous ses yeux et ses guns. C'est qu'elle fait des envieux dans ce quartier misérable où les gangs font la loi. Quartier que les Américains blancs ont déserté au profit d'immigrés asiatiques qui tentent de vivre dignement mais qui gâchent le paysage de Walt. Ils n'aiment pas ces gens, leurs coutumes, leur nourriture, même leur gentillesse il ne la supporte pas. D'ailleurs Walt n'aime personne, sauf sa chienne. Alors quand son jeune voisin Tao tente de lui piquer la prunelle de ses yeux, il passe à un cheveu du flingue. Et pourtant, il déteste encore plus les gangs que Tao. Alors quand un jour celui-ci se fait agresser par la bande, il ressort son gun et fait fuir les gaillards, pour un temps (enfin surtout parce qu'ils marchent sur sa pelouse et ça, il ne supporte pas...). Walt devient le héros du quartier, celui qui a sauvé Tao. Pour tout dire, j'ai trouvé Eastwood magistral du début à la fin. Il incarne à merveille ce type haineux, seul à en crever qui grogne plus qu'il ne parle à ses contemporains. Mais on se doute bien qu'il y a plus que du racisme derrière cette haine enracinée. Il y a la guerre, celle de Corée, l'enfer, la mort, la violence rivée au corps ; il y a le pays qui se dégrade, l'Amérique qui fout le camp, le rêve qui s'effondre ; et il y a les Américains, principalement représentés par les enfants et petits-enfants de Walt, dont la connerie fait froid dans le dos... Alors pas facile d'être tolérant et d'ouvrir les yeux. Et pourtant Walt va écouter et regarder. Ecouter Sue, la soeur de Tao lui raconter son pays, ses coutumes, son frère. Regarder Tao, un bon gars, trop faible pour ce pays de hyènes. Il va même s'attacher à lui, à sa manière bourrue et autoritaire. Il va trouver dans cette famille si différente de la sienne les valeurs que l'Amérique à oublié : la dignité, le travail, l'honnêteté. Il va ouvrir les yeux Walt, et découvrir que celui qui est étranger n'est pas forcément différent. Banal comme thème ? Certainement. Tout réside dans la force avec laquelle Eastwood la fait passer. Le film est à mille lieues du bon sentiment, d'une froideur étonnante alors que le spectateur passe par tant d'émotions. Et ce personnage crépusculaire s'offre une belle rédemption, silencieuse à son image. Attendue, peut-être ? Sûrement. Mais on s'en fiche, Gran Torino n'est pas un film à suspens. Un rôle de Clint Eastwood pour Clint Eastwood, dont on a toujours l'impression qu'il nous dit adieu, mais qui est toujours là, monumental. Ci dessous, le générique final + scènes du film. Quelqu'un sait-il si c'est Eastwood himself qui chante dans le film avec Jamie Cullum ? Edit du 08/04/09 : pour entendre le grand Clint chanter, c'est ici : merci Fildefer ! Quelques avis chez Anjelica, Dasola, Anne, Kathel, Aifelle, Alain, Gran Torino de Clint Eastwood Avec Clint Eastwood, Bee Vang, Ahney Her Sortie nationale : 25 février 2009 - Durée : 1h 55 Harraga - Boualem Sansal Lamia, trente-cinq ans, médecin, vit seule à Alger de nos jours. Une petite vie bien réglée, rien qui ne dépasse, mais une révolte intérieure immense contre son pays, les hommes et l'islam. « Le pays manque de tout mais pas de sermonneurs qui s'ignorent, de branleurs qui font suer le monde et de pétochards prompts à se rendre invisibles. [...] Un jour, je leur cracherai à la figure ce que je pense de leur absolue perfection. Parce que ça pense croire en Allah, ça se permet tout, insulter, rançonner, jeter des bombes et pis, sermonner du matin au soir, du lundi au vendredi. » Dans un pays de violence où les femmes sont des choses, Lamia est une voix unique, tout de colère et de sincérité : « Je me suis arrangé un mode de vie qui ne tient ni de l'argent ni de l'encens, pas de religion, pas de bazar, pas d'atermoiements. » C'est dans ses souvenirs qu'elle vit Lamia, ses parents, ses frères, en particulier Sofiane, ce harraga, ce brûleur de route, parti pour le rêve, l'ailleurs, loin du pays, loin d'elle qui n'a pas su le retenir. Puis un jour arrive Chérifa, dix-sept ans, enceinte, insouciante Lolita et ouragan domestique. Elle s'installe, envahit le quotidien de Lamia, qui n'entend pas se laisser faire. La recluse et l'électron libre vont se trouver, sans pour autant se le dire. Et un jour Chérifa s'en va, avec son gros ventre et ses talons hauts, et la solitude de Lamia se transforme en vide. Difficile lecture, très difficile lecture dont je ne suis venue à bout qu'en passant en mode accéléré à la fin, et surtout parce que ce livre a été proposé pour la chaîne des livres par Emmyne. J'ai trouvé le monologue de cette femme extrêmement long, ses digressions n'en finissent pas et je ne parviens pas à m'intéresser à son sort. Bien sûr, la voix de cette femme est terrible, elle dit le sort atroce de ces femmes en pays islamiques qui ne sont rien, des victimes de Dieu et surtout des hommes. Elles sont à la merci de leur sauvagerie, et les sanctions les plus atroces sont possibles : flagellation, lapidation, mise aux fers, crémation, écartèlement, ébouillantement, plomb fondu... Elles ne peuvent que se soumettre ou se révolter. Lamia choisit la révolte en ne se mariant pas, la méthode douce... Mais Chérifa prend une autre voie, interdite, celle de la liberté. Elle vole d'homme en homme, mais il n'y a pas de place pour elle dans le ciel d'Algérie. Elle doit se faire harraga elle aussi, pour échapper à la haine. Le plus étonnant à mes yeux est que ce soit un homme qui ait écrit ce texte. Quelle force et quel amour Boualem Sansal porte-t-il en lui pour donner autant de puissance à cette voix féminine, je ne sais, mais c'est très troublant et sincère. Bien entendu, ses livres sont interdits en Algérie où il vit cependant. Il n'a pas pris la route comme ses personnages, car pour parler de son pays, il estime qu'il doit y vivre et non le fuir. Beaucoup de bonnes raisons donc pour lire ce livre qui malgré tout m'a paru vraiment très long et beaucoup trop loin de moi pour me toucher profondément. Pourtant, la fin est vraiment très belle et je ne regrette pas ma lecture. Au final, merci Emmyne ! Les précédents enchaînés : Lune de pluie, Virginie, Yohan et aussi Florinette, Harraga Boualem Sansal Gallimard, Folio n°4498, 2005 ISBN : 978-2-07-034329-316 pages - 7 euros Les Affranchis - Alexis HK Un incroyable hasard m'a fait croiser la route d'Alexis HK, moi qui n'écoute ni radio ni télé. J'ai entendu l'étonnante mélodie de la chanson "Les Affranchis" qui donne son titre à l'album : très originale. Et je me suis dit que s'il pouvait écrire une chanson comme ça, l'album valait sûrement le coup. Après avoir pas qu'un peu galéré pour trouver l'orthographe de son nom, il m'a fallu attendre un mois la sortie du CD. Et là : oh joie oh bonheur, c'est tellement bien qu'il inaugure une catégorie "Musique" sur ce blog. En fait, depuis que j'ai ce disque en ma possession, je soûle tout le monde avec LA chanson, celle que vous DEVEZ écouter et que dans ma grande bonté je vous colle ci-dessous : "Chicken Manager". Je la fais écouter absolument à tout le monde, il y a bien longtemps que je n'avais pas entendu une chanson aussi intelligente, qui vaut tous les graffiti et tous les slogans. Alors surtout, écoutez-là jusqu'à la fin, tout est dans la dernière phrase. Vous allez certainement vous demander ce que c'est que cette histoire de coqs bagareurs, mais faites-moi confiance pendant quatre minutes vingt-quatre et écoutez-là attentivement jusqu'à la fin. Mazette, elle est sévère ! Vous aurez compris qu'Alexis HK est un chanteur à textes, qu'il s'écoute avec attention et peut même se savourer de nombreuses fois avec plaisir. Et comme aujourd'hui, c'est ma fête, eh oui, je vous ajoute une autre chanson, "Thanks for the add", beaucoup plus légère, très drôle, où Alexis HK chante avec Renan Luce. Il y est beaucoup question de sa page MySpace, que je vous invite à visiter. Et comme c'est son quatrième album (je suis souvent à la ramasse en matière de musique), je vais avec plaisir rattraper mon retard. Et parce que je me sens devenir inconditionnelle, voici le très beau clip "Les Affranchis", avec Charles Aznavour himself. Ecoutez et faites écouter "Chicken Manager" ! "Puissant, rapide, fluide et léger Nick est un véritable enfoiré. Attaquer l'ennemi à terre par derrière fait partie de ses coups de vice préférés..." Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles - Gyles Brandreth Alors qu'il ouvre la porte d'une pièce où il a rendez-vous, Oscar Wilde découvre le cadavre égorgé d'un jeune garçon qu'il connaît bien. Chandelles, odeur d'encens, Billy Wood semble avoir été victime d'un sacrifice rituel. Le célèbre écrivain irlandais n'aura dès lors de repos qu'une fois la lumière faite sur cette histoire. A ses côtés, Robert Sherard, narrateur de cette aventure et grand admirateur de Wilde ; le docteur Arthur Conan Doyle qui vient de publier la première enquête d'un certain détective destiné à une illustre renommée ; l'inspecteur Aidan Fraser de Scotland Yard. Wilde a lu Une étude en rouge et Sherlock Holmes lui plaît. Il fait du narrateur son docteur Watson, lui assenant petites phrases et déductions destinées à l'éblouir tout autant qu'à le perdre. Et ébloui, il l'est, un peu trop systématiquement d'ailleurs. Oscar Wilde était certainement un homme charismatique, charmant et généreux, mais de là à être parfait... J'ai paradoxalement été gênée au départ par l'ambiance so british, too british même. Cette complicité entre Wilde et Conan Doyle me paraissait facile et factice, trop romanesque pour être vraie. Il se trouve cependant que les deux écrivains se connaissaient comme l'indiquent les notices biographiques en fin d'ouvrage. Au temps pour moi... De même que Robert Sherard, écrivain lui aussi quoique de moindre renommée. Reste que les brillantes déductions de Wilde sont un peu trop systématiques à mon goût et que l'avalanche d'aphorismes finit par être indigeste. Et que j'avais deviné l'identité du meurtrier vers la page deux cents, moi qui ne suis pourtant pas d'une grande perspicacité. J'ai vraiment lu des romans policiers beaucoup plus réussis. Je trouve que l'auteur se livre à un exercice d'admiration qui nuit au roman lui-même. Si l'on suit avec plaisir les deux hommes dans leurs pérégrinations londoniennes, on ne peut vraiment pas s'extasier devant l'intrigue... On dirait parfois du théâtre, plutôt mal joué avec des personnages secondaires improbables. Wilde prenant toute la place, les autres sont des faire-valoirs. On ne peut cependant pas reprocher à l'auteur de ne pas connaître son sujet : éminent spécialiste de Wilde et de la période, il restitue une société victorienne intransigeante et fermée, les nuits londoniennes agitées du beau monde et la vie culturelle d'une époque en pleine effervescence. Mais pourtant, ce roman ne m'a pas vraiment convaincue, je suis même assez déçue. Je me sens d'ailleurs un peu seule dans ce cas, souvenez-vous des avis de Miss Alfie, BiblioMan(u), Alwenn, Wictoria, Le Bookomaton, Cryssilda, qui ne tarissent pas d'éloges. Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles 2.5 Gyles Brandreth traduit de l'anglais par Jean-Baptiste Dupin ISBN : 978-2-264-04649-9 - 384 pages - 13,50 € Oscar Wilde and the Candlelight Murders, parution en Grande Bretagne : 2007 Impardonnables - Philippe Djian Francis est un écrivain à succès de soixante ans. Il y a douze ans de cela, il a vu sa femme et une de ses filles brûler vives dans un accident de voiture. Il s'est remarié deux ans plus tard avec Judith, agent immobilier, et son autre fille, Alice est devenue actrice. Elle s'est elle-même mariée avec Roger, banquier ex-junky, et ils ont deux jumelles de huit ans. Fabriqué comme un puzzle de vie dont le lecteur reconstruit le dessin peu à peu, ce roman laisse la parole à Francis, un homme à la dérive dont l'écriture est l'unique bouée quand sa famille se désassemble. C'est que sa fille, Alice, a disparu. Elle est le dernier maillon qui le relie à son passé idéalisé et l'idée de la perdre lui est insupportable. La police restant incapable de la retrouver, il engage A.M., une ancienne camarade de classe devenue détective. Il engage également son fils Jérémy qui vient de sortir de prison, pour suivre Judith qu'il soupçonne d'adultère. Je ne peux malheureusement en dire plus puisque le roman est construit sur un coup de théâtre qu'il serait malséant de dévoiler. D'ailleurs, Djian joue beaucoup sur le suspens, sur l'attente du lecteur en distillant peu à peu des informations sur son passé et des données essentielles sur les différents protagonistes. Il capte l'attention du lecteur même si parfois, les révélations n'en sont pas vraiment. C'est un livre sur la souffrance, celle de l'écrivain, celle du père, celle du mari. C'est un livre qui ne dit pas comment s'en sortir mais qui vous raconte au creux de l'oreille comment Francis, homme blessé, survit au monde par l'écriture. Déçu du monde et de la vie, il lui reste les mots, qui eux ne trahissent pas. Dans ses interviews, Philipe Djian parle beaucoup de l'écriture. Je ne saurais moi-même pas vous en parler, mais quand je le lis, j'ai l'impresion que c'est à moi qu'il raconte son histoire, ses souffrances. Rien ne m'est plus étranger qu'un écrivain de soixante ans et pourtant, je l'écoute et il me semble entendre parler d'une souffrance bien plus générale, celle d'être au monde, de vivre avec les autres, de supporter les trahisons et de voir s'anéantir des idéaux. Pour finalement perdre le contrôle de sa vie et s'enfoncer dans de fausses certitudes. C'est bien sûr d'une grande tristesse mais aussi tellement humain. Les avis de Cuné, La Lettrine, Amanda, Lily, Sylire, In Cold Blog et Fashion que je remercie beaucoup pour le prêt ! De Philippe Djian sur ce blog : Ça, c’est un baiser Impardonnables Philippe Djian Gallimard, 2009 ISBN : 978-2-07-077462-3 - 232 pages - 17,50 € L'étrange histoire de Benjamin Button - David Fincher Ça y est, je l'ai vu ! Après tout le monde ou presque, et surtout après plein d'avis positifs qui m'ont fait choisir ce film plutôt que Gran Torino ou Harvey Milk : malheur ! Parce que je me suis ennuyée, et pas qu'un peu. Déjà, au départ, je ne suis pas fan de Brad Pitt, qui pour être bon acteur ne m'a jamais laissé de souvenirs mémorables (si, peut-être Entretien avec un vampire). Et puis Cate Blanchett ne me plaît pas, trop pâle, trop fade. Malgré tout, l'histoire me tentait bien. Un homme qui naît à quatre-vingts ans et qui rajeunit, ça doit entraîner pas mal de questions, non ? Non. Pas une en fait. A aucun moment les personnages ne se demandent comment cette chose-là est possible, personne n'a l'air de trouver ça bizarre... Le seul moment où ça commence à poser problème, c'est quand ledit Benjamin Button est sur le point d'être père : son enfant sera-t-il comme lui ? Comment assumer sa paternité alors qu'ils évolueront dans le sens inverse ? Mais là, deux heures de films se sont déjà écoulées et moi, je n'en pouvais plus ! Alors bien sûr, les images sont soignées et l'histoire d'amour est triste. Mais celle-ci est tellement superficielle qu'elle ne m'intéresse pas. Les maquillages sont réussis, sauf à la dernière apparition de Brad Pitt, en adolescent, où ses traits sont tellement liftés qu'on dirait Ken (vous savez, le copain de Barbie !). De belles scènes quand même : quand Cate Blanchett danse sous un kiosque la nuit, les duos Brad Pitt - Tilda Swinton et la cascade de scènettes retraçant l'enchaînement de coïncidences qui ont provoqué l'accident de Daisy. Mais franchement, je n'ai pas été émue le moins du monde et je regrette ma séance... Des avis positifs à la pelle, par exemple chez Dasola, Yohan, Virginie et Stephie, un peu plus mitigée L'étrange histoire de Benjamin Button de David Fincher Avec Brad Pitt, Cate Blanchett, Tilda Swinton Durée : 2h 40 ! Sortie nationale : 4 février 2009 Un enfant de Dieu - Cormac McCarthy Autant commencer par là : j'ai été déçue par cette lecture. Le souvenir encore plein de La Route, merveilleux roman que je classe parmi les meilleurs que j'ai lus, j'avais envie de découvrir l'oeuvre de cet auteur américain, l'un des plus grands actuellement vivants. Et malgré une couverture tout à fait envoûtante, ce livre ne m'a pas captivée comme le précédent. D'abord un style très dépouillé s'emploie à dessiner le portrait à plusieurs voix d'un homme, Lester Ballard, que l'ignorance, la solitude et la pauvreté ont poussé aux meurtres et à la folie. L'homme glisse peu à peu vers l'animalité, se détournant de ses semblables pour vivre dans la nature, le noir et le froid. Ce froid qu'est l'absence de chaleur humaine qui détache l'homme de sa condition. Ballard se déplace d'un endroit à l'autre, traînant ses maigres biens, jusqu'à ne plus avoir de toit, jusqu'à ne trouver une compagnie que parmi les cadavres de ses victimes. Loin du gore de certains thrillers, McCarthy s'emploie à suggérer plutôt qu'à décrire. Avec un minimum de mots, de ponctuation et de descriptions (autant physiques que factuelles), McCarthy écrit la déchéance. On en sait si peu sur Ballard que toute psychologie est exclue. Pas de récit d'enfance troublée, pas de traumatisme psychologique. Ballard est bien plus victime des hommes et de la société que d'une quelconque histoire personnelle. Il ne rencontre que des laissez-pour-compte de la société, les rebuts du rêve américain qui au mieux végètent, au pire se détériorent lentement au fil des générations. Abrutis d'alcool, de sexe et de néant, ces hommes et ces femmes régressent et s'excluent de la civilisation. A l'image de Ballard. Mais "à quel moment Lester est-il devenu un monstre ?",à quel moment a-t-il franchi le pas et abandonné tout repère ? La frontière semble si ténue entre ce meurtrier et ses contemporains que l'on peut s'inquiéter du sort de l'Amérique qui laisse grandir de tels serpents en son sein. Aucune analyse et pas de jugement. Je n'ai pas réussi à entrer dans ce texte d'une grande froideur. Je crois que pour moi, le portrait d'un homme tel que Ballard doit s'accompagner d'une investigation psychologique, totalement absente ici. J'aurais voulu comprendre mais il n'y a pas d'explications. Je reste donc à la lisière de ce roman et tenterai de revenir vers cet auteur avec peut-être Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme. Les avis de Jeanjean et Amanda Un enfant de Dieu Cormac McCarthy traduit de l'anglais (américain) par Guillemette Belleteste Seuil (Points n°P611), 2008 ISBN : 978-2-7578-1019-4 - 169 pages - 6,50 € Child of God, publication aux Etats Unis : 1973 The Lost Room Amateurs d’étrange et de bizarre, cette série est faite pour vous ! Joe Miller (Peter Krause) est inspecteur de police à Pittsburg. Beau comme un dieu, divorcé, il a la garde de sa fille, Anna, huit ans. Pour son plus grand malheur, on lui remet un jour une clé, celle de la chambre n°10 du motel Sunshine. Il ne tarde pas à comprendre que cette clé ouvre toutes les portes et conduit invariablement dans la lumineuse chambre en question. Quand il en ressort, il peut être n’importe où… Malheureusement pour lui, nombreux sont ceux qui cherchent à s’emparer de cette clé et en particulier la Légion et l’Ordre. Ces deux groupuscules veulent en fait rassembler tous les objets qui se trouvaient dans cette chambre, une centaine au total, qui tous ont un mystérieux pouvoir. Joe Miller croise bientôt un homme qui, en agitant un ticket de bus se retrouve catapulté à Gallup, Nouveau-Mexique, autant dire le milieu de nulle part ; puis un autre qui disparaît en se donnant un coup de peigne. Tous deux ont l’air un peu… disons, dérangés… C’est que les possesseurs d’objets ne tardent pas à se suicider ou à devenir fous. Joe Miller ferait bien de se débarrasser de sa clé… sauf que son adorable petite fille (Elle Fanning, la soeur de Dakota) est entrée dans la chambre et a disparu. Pour la retrouver, il doit garder la clé, et peut-être rassembler d’autres objets… Des lunettes, un réveil, une photo, un rasoir… autant de choses qui seraient des morceaux de Dieu et qui, rassemblées, permettraient de lui parler… Eh oui, la chambre n°10 serait peut-être bien l’endroit où Dieu est mort, le 4 mai 1961 à 13 heures 20… Intérêt premier de la série, soyons honnête : Peter Krause (« Six Feet Under »), dont la photo ci-contre se passe à mon avis de commentaires… Mais pas seulement, car les autres acteurs sont épatants, de Roger Bart qui en agitant son stylo vous brûle un ennemi en deux secondes à Peter Jacobson, le doux dingue au ticket de bus en passant par Kevin Pollak (qui ressemble à Jacques Attali, dites-moi si je rêve…) et l’ambigu Dennis Christopher (derrière Peter Krause sur la photo), le médecin légiste, personnage central et vraiment magistralement interprété (parce qu’il est toujours facile de jouer les héros, mais beaucoup plus difficile d’être un personnage trouble). Et puis le scénario a tout pour me plaire : des objets aux pouvoirs maléfiques, une chambre mystérieuse et un héros qui patauge dans la semoule et reconstruit avec nous, peu à peu, une histoire vraiment bizarre. Les questions succèdent aux questions, le téléspectateur découvre les uns après les autres les porteurs d’objets, tous plus barjes les uns que les autres (ci-dessous, le porteur de peigne, complètement allumé !), et le mystère de cette chambre s’épaissit. Alors dites-moi comment ne pas craquer pour ce charmant papa prêt à tout pour récupérer sa fille, hein ? D’ailleurs, si la rationalité et le vraisemblable ne sont bien sûr pas les maîtres mots de cette épatante série, le plus incroyable reste quand même qu’un homme pareil soit divorcé, disons même célibataire… enfin bon, il ne le reste pas, faudrait voir à pas rêver… Cette série américaine de six épisodes (deux DVD) a été diffusée sur M6 je ne sais quand, vous l’avez peut-être vue. Et si je ne vous ai pas convaincus, allez donc lire le billet de Cachou, c’est sa faute si je suis tombée dedans ! Jeudi 19 mars 2009 Le mystère de la maison Aranda - Jerónimo Tristante Madrid, fin du XIXesiècle. Le sous-inspecteur Victor Ros revient de loin : lui, le gamin des rues, le délinquant, a été remarqué par le sergent don Armando. C’est qu’il est intelligent ce sous-inspecteur, et perspicace. C’est aussi l’avis de l’excentrique comte du Razès, « ce fanatique défenseur de l’utilisation des techniques les plus modernes dans les enquêtes criminelles. » Le comte l’initie à ce qui deviendra la médecine légale qui, alliée à ses petites cellules grises, va faire merveille dans l’enquête de la maison Aranda. C’est qu’il fallait quelqu’un d’exceptionnel pour résoudre cette énigme hors du commun. Jugez un peu. La belle et noble Aurora Alvear, fille aînée et héritière d’une famille quasi ruinée, vient d’épouser un arriviste fortuné qui a besoin d’un titre de noblesse pour parfaire sa position sociale. Et voilà qu’elle le poignarde en pleine nuit, manquant de peu de l’assassiner. Le sous-inspecteur Ros découvre bientôt que la maison dans laquelle ils viennent d’emménager est empreinte de mystère, autant dire maudite. Par deux fois déjà, d’honnêtes épouses y ont tenté de poignarder leur mari. La sombre demeure semble cacher un secret depuis que cinquante ans auparavant, un homme ayant fait fortune outre-mer est revenu avec sa créole de femme, adepte du culte vaudou. Ros, en homme rationnel, est déterminé à faire la lumière sur cette histoire. D’autant plus que Clara, la sœur d’Aurora, lui plait beaucoup. Lui, le rejeton du peuple, se met à rêver aux ors de l’aristocratie ; lui, le libéral, se prend aux charmes de la vieille noblesse. Mais une autre affaire le préoccupe : plusieurs prostituées ont été assassinées dans les rues de la capitale espagnole, toujours selon le même mode opératoire. Par affection pour Lola, sa prostituée préférée, il enquête cette fois dans les bas-fonds, jusqu’à remonter à un sinistre représentant de la noblesse madrilène. De facture très classique, ce roman policier tient son originalité du lieu où il se déroule. Madrid n’est pas Londres, il ne pleut pas, il fait très chaud l’été, mais les bas-fonds madrilènes n’ont rien à envier aux londoniens et les classes sociales sont tout aussi fermées au nord qu’au sud de l’Europe. Certains éléments historiques me manquaient pour comprendre toutes les allusions (la révolution de 1868 ?), mais ils servent surtout de contexte historique et n’entravent en rien la compréhension du tout. Quant au héros enquêteur, il n’a rien de bien original lui non plus, empruntant à Rouletabille ou Sherlock Holmes leurs éclairs de génie fulgurants et aussi à William Monk ses enquêtes en milieu aristocratique. Jerónimo Tristante joue avec les codes du roman populaire et feuilletonesque cher au XIXesiècle. Les passages secrets, les trésors, les belles étrangères, les disparitions, tout sent le vieux mystère teinté de fantastique qu’un farouche défenseur du rationalisme va éclairer de la lumière de l’intelligence et de la modernité. J’ai trouvé que parfois, l’auteur ne laissait pas assez vivre ses personnages, fournissant des explications inutiles à ce que le lecteur peut comprendre de lui-même. Autre reproche : le dénouement manque totalement d’originalité. Les coupables ou complices se confient les uns après les autres à Victor avant de se tuer, le procédé finit par lasser… Ça n’est pas inoubliable, mais plaisant. Notamment grâce à une très solide mise en scène sociale et historique. D’ailleurs, l’auteur a rencontré un tel succès de l’autre côté des Pyrénées qu’il a déjà donné une suite aux aventures de son perspicace sous-inspecteur. Le mystère de la maison Aranda Jerónimo Tristante traduit de l’espagnol par Elana Zayas Phébus, 2009 ISBN : 978-2-7529-0359-4 – 366 pages – 22 € El Misterio de la Casa Aranda, parution en Espagne : 2007 Welcome - Philippe Lioret Bilal a dix-sept ans. Il vient d'arriver d'Irak à pied et n'a qu'une envie : s'embarquer pour la Grande-Bretagne et rejoindre à Londres sa douce amie Minâ. Mais pour l'heure, il est bloqué à Calais après une tentative ratée de passage clandestin dans un camion. Après quatre mille kilomètres à pied, ce ne sont pas trente kilomètres de mer qui l'effraient. Il décide donc d'apprendre à bien nager pour entreprendre la traversée. A la piscine, il rencontre Simon, le maître-nageur. C'est un homme blessé, fatigué, en train de divorcer d'avec sa femme, bénévole d'une association qui nourrit les clandestins. Elle lui reproche sa lâcheté, son silence face à la condition de ces hommes démunis et rejetés par les bons citoyens. Ému par le sort de Bilal, désireux de prouver à sa femme qu'il peut lui aussi faire quelque chose, il décide d'aider le jeune garçon bien au-delà des limites de la loi. La police va donc s'en prendre à lui aussi, pour aide à personne en situation irrégulière (à ne pas confondre avec assistance à personne en danger... rien à voir, malheureusement...) car la simple compassion est interdite à Bilal. A la question "Comment va le cinéma français", on peut apporter une réponse positive à l'issue de ce film. Pas de nombrilisme, pas de pathos, pas de gags à deux balles. C'est un film engagé et humain qui montre sans complaisance mais sans militantisme forcené les conditions que la France fait à ces hommes démunis. Disons-le, la France ne fait rien. Ils ne sont pas renvoyés dans leur pays en guerre, mais ils s'accumulent et attendent, sans autre objectif que de passer quand même et donc de tomber dans le délit pour y parvenir. J'ai entendu dire que la ville de Calais n'appréciait pas ce film. Je le comprends et pourtant, la mobilisation de certains Calaisiens est explicite et fait honneur à tous ses habitants. D'autres bien sûr ne sont pas montrés sous leur meilleur jour, et les dénonciations font froid dans le dos... C'est donc un film politique, mais pas seulement. C'est aussi l'histoire d'un homme déboussolé par son amour perdu, vraiment très bien interprété par Vincent Lindon, pudique et bourru. Son improbable rapprochement avec un jeune immigré sonne vraiment très juste sans que le réalisateur donne dans le mélodrame : quelques scènes simples et émouvantes construisent leur relation. Il est malheureusement possible que ce film ne change pas grand-chose à la situation de tous ces gens. Mais il a au moins le mérite de faire parler d'eux, d'amener les gens à s'interroger et à réfléchir sur une situation qui n'en est pas, sur le sort de ces gens qui attendent. L'avis de Dasola Welcome de Philippe Lioret Avec Vincent Lindon (Simon), Firat Ayverdi (Bilal), Audrey Danat... Sortie nationale : 11 mars 2009 - Durée : 1h 50 El ultimo lector - David Toscana Attention, impossible de lire ce livre en état de semi-somnolence, il requiert toute l'attention du lecteur. En effet, nous voici dans le petit village mexicain d'Icanole, oublié de tous, en particulier de la pluie. Dans ce désert, il y a une bibliothèque dont Lucio est responsable. Trois visiteurs par semaine, il ne risque pas le surmenage. Alors il lit Lucio, il lit beaucoup, à tel point que la fiction prend le pas sur sa vie et que les récits s'entremêlent joyeusement. Lucio a un fils, Remiogio, qui vient de trouver le cadavre d'une petite fille dans son puits. Il l'en sort et finit par l'enterrer pour ne pas qu'on l'accuse de meurtre. La police arrive peu après, une petite fille a disparu dans le village voisin, Anamari. Mais parce que Lucio a lu un livre dans lequel une petite fille nommée Babette est retrouvée dans un puits avant d'être enterrée, Anamari devient Babette. Toute l'histoire est dévorée par la fiction. Lucio rapporte tout ce qu'il vit à ce qu'il lit, à tel point que ce qu'il lit finit pas être ce qu'il vit. Et si ce roman n'est pas aisé à lire, c'est parce que l'auteur fait tout pour embrouiller le lecteur, à savoir que rien ne distingue le passage entre l'histoire qui se passe à Icamole et les fictions que lit Lucio. On ne sait pas d'emblée ce qu'on lit. De même, rien ne distingue dialogues et récit. On aura compris que le fond et la forme sont ainsi habilement liés. Mais ménager quelques passages à la ligne et utiliser des guillemets n'auraient pas nuit à ce principe et aurait facilité la lecture. Car cet original procédé aurait pu donner lieu à un roman original, comme l'est l'excellent livre d'un Sud-Américain, Mario Vargas Llosa, La tante Julia et le scribouillard dans lequel la fiction des romans radiophoniques envahit la réalité. Mais j'ai eu ici beaucoup de mal à m'intéresser à l'histoire elle-même. Je pense que les références et digressions prennent tellement de place qu'on en perd le fil et qu'il est dès lors difficile de poursuivre. Pourtant, point positif, le livre ne manque pas d'humour. Lucio ne se prive pas de commenter les livres qu'il reçoit pour la bibliothèque, d'en jeter les trois quarts et de dénoncer les travers et facilités utilisés par les écrivains : "Les Américains écrivent des mélodrames sur des parents égoïstes, vicieux ou pleins de manies et sur des enfants qui en souffrent les conséquences." Dans un passage particulièrement savoureux, il corrige même la Bible, trop répétitive à son goût. Ses idées bien arrêtées sur la littérature sont également très réjouissantes. "Lui avait les idées claires. Un livre d'histoire parle de choses qui sont arrivées, tandis qu'un roman parle de choses qui arrivent, et, ainsi, le temps de l'histoire contraste avec celui du roman, que Lucio appelle le présent permanent, un temps immédiat, tangible et authentique." Bien maigre et assez décevante contribution à l'actualité littéraire mexicaine mise à l'honneur par le Salon du Livre de Paris. Sur le blog de Cathe, bien plus consciencieuse que moi, vous trouverez beaucoup d'autres suggestions de lectures (notamment en janvier 09). L'avis mitigé de Kathel El ultimo lector David Toscana traduit de l'espagnol (Mexique) par François-Michel Durazzo Zulma, 2009 ISBN : 978-2684304-467-0 - 214 pages - 18 € El ultimo lector, parution au Mexique : 2005 La chaîne des livres : on en parle... Vous connaisssez Arnaud ? Moi non plus, enfin maintenant si. Il est étudiant en journalisme et fait des recherches sur les échanges de livres. Alors évidemment, il est tombé sur la chaîne des livres et a voulu en savoir plus, le curieux... Si vous voulez savoir ce que nous nous sommes raconté de passionnant, et découvrir d'autres opérations d'échanges de livres, c'est sur Canal ISCAP (cliquez sur "Document", avec Lecteur Windows Media, ça marche très bien !) Pour mon plaisir et ma délectation charnelle - Pierre Combescot Pourquoi ces crimes, demande-t-on à Gilles de Rais, « tueur d’enfants, pédéraste, sodomite, bête enragée » lors de son procès : « pour mon plaisir et ma délectation charnelle. » Comme bien d’autres écrivains et historiens, Pierre Combescot est attiré par ce monstre. « Pourquoi ? Pourquoi ? Tout ce sang, ces têtes tranchées, ces membres amputés, pourquoi ? Quelle obligation du destin, quelle fatalité l’y pousse ? » En romancier, il dessine quelques pistes, imagine les sentiments et pulsions qui ont pu agiter Gilles de Rais, le jeune homme puis l’adulte. En cette époque de bruit et de fureur, s’il en est, les Anglais, les Bourguignons, les Armagnac mettent le pays à feu et à sang et « la Cour est devenue un repaire de brigands. » Amaury de Craon meurt à la bataille d’Azincourt. A la vue du cadavre de son oncle, le jeune Gille de Rais fut-il envahi d’ « une sorte de volupté, un grand feu intérieur » ? Plus tard, à Chinon, fut-il « « ébloui, troublé » par les divins charmes masculins de la Pucelle ? Se sent-il, à son contact « lavé de toutes les particules de péché qui lui collent à la peau » ? Fait maréchal de France pour sa bravoure aux côtés de Jeanne, il abandonne pourtant bientôt la guerre pour une vie ostentatoire et dispendieuse. Il chasse comme une brute, parade avec brio et prie avec ferveur dans ses chapelles somptueuses. Rien n’est trop beau ni trop cher pour ses plaisirs pervers. Bientôt, de jeunes garçons disparaissent dans son sillage sans laisser de traces. Il aime éblouir et faire souffrir ; il se ruine consciencieusement. A sa perversité s’ajoutent bientôt, philtres, alambics et autres invocations sataniques. Mû par un appétit meurtrier insatiable, le Maréchal accumule les cadavres démembrés de jeunes garçons sur son passage. Ses ennemis en profitent pour fomenter sa chute, et c’est l’arrestation, l’heure des terribles bilans : « Cent quarante enfants auraient été sacrifiés pour le seul plaisir du Maréchal. » Pour échapper à la torture, Gilles de Rais avoue tous ses crimes, fournissant maint détails, une manne pour les romanciers. Il est pendu le 26 octobre 1440, implorant l’assistance de prier pour lui. Pierre Combescot n’a pas percé le noir mystère Gilles de Rais mais a mis en scène une époque tumultueuse et brutale qui a engendré ses saints et ses monstres dans une même violence meurtrière. Roman historique, biographie et fiction pour un livre qui fait froid dans le dos, bien sûr, parce que Gilles de Rais, bien que monstrueux, fut un homme, un homme qui renvoie chacun à lui-même et à la nature humaine. Pour mon plaisir et ma délectation charnelle Pierre Combescot Grasset, 2009 ISBN : 978-2-246-63101-9 – 188 pages – 13.90 € Rêves de garçons - Laura Kasischke C'est un grand frisson qui me parcourt en refermant ce livre. Le ton de la narratrice est si désinvolte, comment imaginer qu'il va mener à la révélation finale ? C'est pourtant imparable, méticuleux, et toujours aussi glaçant. Je poursuis donc ma découverte de cette auteur dont l'écriture trouve en moi un écho vraiment profond. Il s'agit pourtant là de jeunes adolescentes Américaines de la fin des années soixante-dix, pom-pom girls de surcroît, c'est vous dire si elles me sont a priori étrangères. Elles sont belles, très belles même et le savent et s'en servent pour aguicher les garçons de façon parfois extrêmement provocante (en roulant les seins à l'air dans une décapotable par exemple). Pourtant, à l'inverse de sa meilleure amie Desiree qui saute sur tous les beaux mecs et se fait donc traiter de nymphomane, Kristy la narratrice est vierge et ne considère pas le sexe comme une de ses priorités. Elle passe quelques jours d'été dans un camp de vacances avec ses amies pom-pom girls et entend bien en profiter et s'amuser. Mais le lecteur est prévenu dès le préambule : ce roman est placé sous le signe des histoires macabres qu'on se raconte le soir à la veillée autour du feu pour se faire peur et s'empêcher de dormir. Et partout, par petites touches, la mort s'insinue dans le récit : les cigales qui passent dix-sept ans sous terre avant de surgir pour deux jours de vibrations aussi intenses qu'éphémères, le père de Kristy disparu à jamais, sa grand-mère folle, ce garçon qui l'aimait et qu'elle n'a jamais revu. Ces souvenirs qu'elle égraine pourraient donner lieu à un roman nostalgique s'il n'y avait derrière une mentalité pointée du doigt et soulignée par l'esprit pom-pom girl : "Celle qui a de l'énergie à revendre, qui se donne du mal, qui fait tout pour avoir l'air belle et pour être la meilleure, alors pour cette fille-là, tout est possible." Dans ce contexte-là, il n'est pas de sentiment possible. L'autre n'existe que tant que tout va bien, que la vie est facile et que rien n'entrave l'avenir. Que quelque chose vienne se mettre en travers du chemin et c'est l'individu seul qui compte, oubliant les autres, leur existence, leurs souffrances. Kristy ressemble à une adolescente normale, mais c'est en fait un monstre de froideur. Et c'est bien là ce qui est si terrible : cet individualisme forcené est-il le lot commun ? L'adolescente devenue femme qui raconte son histoire représente-t-elle les femmes de la middle class américaine ? Dans une interview, Laura Kasischke déclare : "Ce qui m'intéresse en écrivant, c'est de reconstituer tout le processus psychique et affectif qui conduit parfois les êtres à se retrouver dans certaines situations limites: disparaître, ou se faire tuer." Ces situations limites permettent de dévoiler les personnalités de femmes bien convenables, ayant réussi. Alors évidemment, Laura Kasischke dérange. J'ai lu notamment quelques billets incendiaires à propos de A moi pour toujours, passionnant roman au demeurant. C'est que quand on appuie là où ça fait mal, il est préférable de faire comme si la douleur n'existait pas... De Laura Kasischke sur ce blog : A Suspicious River, A moi pour toujours Les avis de Virginie et Dominique Rêves de garçons 4/5 Laura Kasischke traduit de l'américain par Céline Leroy Christian Bourgois, 2007 ISBN : 978-2-267-01906-3 6 245 pages - 25 € Boy Heaven,parution au Etats Unis : 2006 Le phénomène blogs : l'enquête du Magazine des Livres Lisez ce billet et vous économiserez 5 euros 90. Enfin si vous êtes comme moi et avez tendance à vous précipiter sur tout ce qui touche de près ou de loin aux blog littéraires. L'idée de départ est de recenser vingt blogs incontournables. Moi, naïve, je me dis qu'il va forcément être question des blogs que je fréquente. Parce que quand même cent-quatre-vingt treize blogs dans mon Google Reader, ça commence à faire beaucoup. Eh bien figurez-vous que pas un des blogs cités par ce magazine n'y figure. Bon, me direz-vous, je ne suis pas une référence, j'en ai bien conscience, mais quand même. Pas de Fashion ni de Clarabel dans ce choix, elles qui toutes deux et de façon bien méritée trustent les premières places du classement des blogs littéraires les plus influents depuis des mois. Elles ne parlent ni de lessive ni de tricot à ce que je sache... Alors qui ? Eh bien ces blogueurs recommandés ont en commun d'être journalistes, éditeurs, écrivains, traducteurs, lecteurs en maisons d'édition ou critiques littéraires reconnus (entendez par là que leurs critiques sont publiées sur des supports papier). Rien à voir donc avec les simples amateurs de lecture que nous sommes. Bref, les journalistes parlent aux journalistes... Je tiens à préciser que je ne mets pas du tout en doute la qualité des blogs proposés par le magazine. Loin de moi cette idée, au contraire, c'est la diversité qui fait l'intérêt de la blogosphère. Ce qui m'étonne surtout, c'est le mépris total envers le lecteur de base qui cherche à faire partager ses passions et y parvient d'ailleurs. Pourquoi ? Pourquoi ne pas reconnaître ce qui est ? Comme je sens que vous avez très envie de connaître les blogs recommandés par le magazine, les voici : Bartelby les yeux ouverts, Le Bateau Libre (Frédéric Fernet), BibliObs, Le blog littéraire de Chritian Cottet-Emard, Le Cabinet de curiosités d'Eric Poindron, Cabinet de lecture (rue89, Hubert Artus), La feuille (Hubert Guillaud), Journal littéRéticulaire 2, Lettres ouvertes (Raphaël Sorin), La Lettrine (Anne-Sophie Demonchy), Littérature-traduction (Blandine Longre), Mille feuilles, Poezibao, La République des livres (Pierre Assouline), Les sept mains, La Stalker (Juan Asensio), Terres de femmes, Vipère littéraire, Voyage au bout de la lettre . Ce dernier est le seul blog de simple lecteur, si je ne m'abuse. J'ai déjà visité trois ou quatre de ces blogs, laissé un jour un commentaire qui n'a eu ni retour, ni réponse. Ah oui, j'oubliais de préciser : j'aime la convivialité des blogs. Je laisse des commentaires à qui m'en laisse (aux autres aussi mais au bout d'un moment, je m'épuise...), j'y réponds toujours et j'aime beaucoup qu'on me réponde. Rien que la semaine dernière, j'ai laissé des commentaires sur soixante-quinze blogs différents ce qui doit bien faire une centaine en tout, je suis une bavarde (que ceux que je soûle me pardonnent !). Ce qui m'intéresse c'est l'échange, parce que dans ma vie de tous les jours, et malgré mon métier de bibliothécaire, il est vraiment très rare que je puisse partager mes impressions de lecture. J'aime la convivialité de vos blogs et leur diversité, les billets d'humeur, les coups de coeur et les photos de chats ! Bref, je vous aime, et lire un article où il n'est pas question de vous m'agace. Et au fait, elle est où l'enquête sur la nouvelle critique littéraire annoncée en couverture ??? P.S. de 10 heures : le débat se poursuit sur Biblioblog L'amour au jardin - Jean-Pierre Otte Je suis née à Créteil un jour pluvieux de mai, il y a déjà des lustres. A Créteil, point d'herbe, point de fleurs, quelques improbables mouches mutantes et aussi des moustiques, l'été. C'est vous dire si Dame Nature et moi n'étions pas destinées à nous entendre. Moi j'aime le béton, le bruit des voitures et les odeurs d'essence... Eh oui, il faut bien quelques citadins consentants... C'est vous dire aussi si L'amour au jardin me laissait perplexe, rien qu'au titre. Parce que bon, si je connais les tulipes, les roses et les dahlias, faudrait quand même pas m'en demander plus ! Et pourtant, ô magie du verbe, vive la Belgique, dès la première nouvelle de ce ravissant recueil, j'ai été conquise. Mais bon, on ne s'emballe pas, je ne peux toujours pas vous dessiner une cétoine, de l'aconit ou du muscarit... Imaginez des fleurs qui se déguisent en abeilles pour attirer le bourdon ! Si c'est pas pervers ça ! Et ce pauvre bourdon qui s'échine sans se rendre compte qu'il chevauche une orchidée : c'est formidable, non ?! Et puis ces dames qui dévorent leurs amants... on connaît bien sûr la mante religieuse, mais il y a aussi le carabe doré. Comment ça vous ne connaissez pas le carabe doré !? Eh bien moi non plus, enfin je veux dire, pas personnellement, mais j'ai bien dû en écraser quelques-uns lors de mes rares promenades champêtres... Figurez-vous qu'"en avril-mai, le jardin n'est plus qu'un champ de la copulation, un lieu de débauche, une chorégraphie de l'amour prompt ou, au contraire, délicat, étiré, subtil." Moi j'aurais dit un gigantesque lupanar, mais Jean-Pierre Otte a le verbe poétique et c'est à "l'intimité magnifique de la fleur" et de la faune printanières qu'il nous initie en quelques textes qui touchent parfois au mysticisme. Ses héros sont à ce point anthropomorphisés qu'on finit par ne plus savoir de quoi il est question. Devinez un peu : "La réception fut parfaite et les hôtes nombreux à répondre à l'invitation d'un cocktail délicat. A travers les attouchements des petites trompes affairées dans ses parties intimes, la fleur connut des sensations inédites, un chatouillis d'excitation qui était loin d'être désagréable, et surtout elle recueillit une forme de petite vanité ou de gloire dans le succès de sa séduction. Il lui semblait, dans le frémissement, s'éveiller à une vie toute nouvelle dont elle s'affolait un peu." Je n'avais jamais entendu parler d'une primevère en ces termes, ni d'aucune autre fleur d'ailleurs. C'est que sous la plume de Jean-Pierre Otte, le jardin devient d'une incroyable sensualité, d'une émotion voluptueuse. Des mots précis, une langue raffinée, un humour sous-jacent et me voilà binette en main prête à faire de ce terrain vague qui entoure ma maison ce qu'il aurait toujours dû être : un jardin ! Un grand merci à Yohan d'avoir proposé ce livre. Les avis de Yohan et Virginie. L'amour au jardin Jean-Pierre Otte Phébus (Libretto n°110), 2002 ISBN : 2-85949-834-7 - 151 pages - 6,90 € John Franklin, l'homme qui mangea ses bottes - Anne Pons Avez-vous lu Terreur de Dan Simmons ? Si non, vous devriez, c'est un excellent roman. Il raconte l'histoire du Terror et de l'Erebus, navires partis avec leurs équipages à la recherche du mythique passage du Nord-Ouest. Des cent-vingt-neuf marins et officiers à atteindre le Grand Nord (moyenne d'âge vingt-neuf ans), aucun ne revint : une hécatombe. Ce passionnant roman m'a donné envie d'en savoir plus sur le capitaine de cette expédition, un certain John Franklin. Je me suis d'abord tournée vers Du bon usage des étoiles de l'auteur québécois Dominique Fortier. Mais à 26,85 euros le livre + frais de port, j'ai renoncé. D'autant plus facilement qu'était annoncé ce livre d'Anne Pons, qui allait me permettre d'en savoir plus sur le personnage. Quand il part un jour de mai 1845, John Franklin a cinquante-neuf ans et n'en est pas à sa première expédition. Il a déjà pris la tête d'une expédition maritime vers les glaces et d'une catastrophique expédition pédestre. Son excès d'audace et son manque de concertation coûtèrent la vie à plusieurs hommes, les survivants ayant eu à affronter le pire et à manger n'importe quoi, d'où le surnom de Franklin lui-même. Il est ensuite nommé gouverneur de Tasmanie avant de reprendre la mer et la glace pour son ultime voyage. Bien des expéditions avaient échoué et bien des hommes étaient morts lors de ces missions polaires. Mais celle de Franklin doit "mettre un point final à la découverte du passage du Nord-Ouest", ce fameux passage qui permettra enfin à l'Europe de se rendre en Chine sans faire le détour par le cap de Bonne-Espérance. Mais n'y a-t-il que ça ? Après tous ces morts, ces souffrances, ces conditions de vie extrême, qu'est-ce qui pousse ces gentlemen à partir avec leurs bibliothèques, leur argenterie et leurs douillets gants de peau absolument inutiles ? "Après que tant d'efforts ont été consentis et que l'on touche au but, l'opinion qui domine dans les sociétés savantes et les rangs de la Navy est qu'il nous faut reprendre la recherche du passage du Nord-Ouest. L'état de nos connaissances nous retient de douter du succès de l'entreprise. Si l'Angleterre restait devant les portes qu'elle a ouvertes, à l'est comme à l'ouest, elle serait la risée du monde entier pour avoir hésité à en franchir le seuil... Et cela de façon désintéressée, puisque le succès des Anglais profitera aux autres nations maritimes d'Europe, sans qu'elles aient engagé les dépenses et les risques liés à la découvertes du Pôle." Foin de l'altruisme anglais, c'est de fierté nationale dont il est question, mais aussi d'honneur personnel : sir John Franklin ne veut plus être celui qui mangea ses bottes mais bien rester dans l'Histoire comme le découvreur du passage du Nord-Ouest. J'étais donc sur les charbons ardents, je voulais savoir ce qui s'était passé durant ces trois ans de dérive sur les glaces du Grand Nord. Et c'est là que j'ai été bien déçue. Parce qu'une fois appareillés les navires de Franklin, il n'est plus du tout question de leur périple. Evidemment puisqu'ils ont tous disparu corps et biens... Les cent dernières pages de ce livre ne sont donc consacrées qu'aux cinquante-deux expéditions qui entre 1848 et 1859 partirent à la recherche des marins disparus. Aiguillonée par l'infatigable lady Franklin, la Royal Navy y a envoyé ses meilleurs officiers, mais en vain. A ce jour, le corps de Franklin n'a toujours pas été retrouvé. Quelques objets, quelques cadavres et des preuves de cannibalisme que l'Angleterre victorienne, horrifiée, s'empressa d'attribuer aux Inuits... mais de sir John Franklin point de traces... En août 2008, à la faveur de l'année polaire internationale et du réchauffement climatique qui fait fondre la banquise, une énième expédition est partie "pour tenter de retrouver les épaves des trois-mats de l'explorateur britannique". On sait donc pas, à l'issue de ce livre, ce qui s'est réellement passé. Si comme moi, vous voulez découvrir ce qui s'y est peut-être déroulé, si vous voulez en savoir plus sur le calvaire de ces hommes incroyables, british jusqu'au pôle Nord, lisez Terreur de Dan Simmons ! John Franklin, l'homme qui mangea ses bottes Anne Pons Fayard, 2009 ISBN : 978-2-213-63827-0 - 289 pages - 23 € La nef des fous - Turf Attention, je vais vous parler de la meilleure BD du monde, oui, rien que ça, ma série préférée du monde de tous les temps dont le septième et dernier tome vient de sortir. Je vais donc faire dans le dithyrambique et le superlatif mais elle le mérite, c'est une merveille. Amateurs du beau et du bizarre, ouvrez yeux et oreilles ! Il me faut je crois commencer par un "petit" résumé, ce qui n'est pas chose facile car cette BD a une particularité, entre autres bien sûr : plus on avance et moins on comprend. Bon, maintenant que j'ai perdu la moitié de mes lecteurs, je peux continuer... Commençons par les personnages : Le roi Clément Dix-Sept d'Oxfols et son chien Igor Dix-Sept règnent, comme leurs ancêtres avant eux depuis des générations. Sa fille Chlorenthe est amoureuse d'Arthur, le fou du roi. Clément est assisté de son premier ministre autrement appelé le Grand Coordinateur (ci-dessous, à droite) qui se livre à un trafic de coloquintes et fomente un coup d'Etat. Il courtise Chlorenthe, qui n'a que faire de ce pantin, alors que la reine Ophélie elle, s'intéresse de près au Grand Coordinateur, le seul homme de sa cour à n'être pas au moins septuagénaire : "Tous ces vieillards sont durs d'oreille et c'est malheureusement là la seule rigidité qu'il leur reste." (Aucun rapport avec l'intrigue mais cette réplique-là, je l'adore !) Deux patrouilleurs : Baltimore et le sergent (ci-dessous à gauche), relégués au niveau 18 pour avoir découvert le trafic de coloquintes, mais bien décidés à poursuivre leur enquête. Le problème, c'est qu'ils sont un peu lents de la comprennette et même à deux, ils ne font pas un cerveau... Tout commence par de petits événements bizarres : fuite d'eau dans la chambre du roi alors qu'il ne pleut pas, bruits sourds venant du sous-sol, apparitions de monstres non répertoriés et bientôt tremblements de terre... Le Grand Coordinateur semble pourtant en savoir plus qu'il ne le prétend : dirigé par un personnage mystérieux, dont on ne voit que la moitié du visage, toujours souriant et énigmatique, il manipule... qui ? le roi ? En tout cas, il fomente un coup d'Etat ("La monarchie des rayures s'est écroulée, laissant place à l'empire des petits pois"...), met le roi en prison et prend sa place. A qui obéit-il ? Mystère. On comprend pourtant que la Nef se détraque (mais qu'est-ce que la Nef ?) et que le mystérieux personnage perd le contrôle de ce qui semble être sa création. D'ailleurs, Arthur et Chlorenthe se sont échappés d'Eaux Folles pour attérir dans une mystérieuses contrée peuplée de créatures ressemblant à des singes et surtout de Schloumpfs dentus, méchants petits êtres bleus qu'il ne fait pas bon rencontrer la nuit dans la forêt. Et puis surgit le prince Putatif qui semble avoir la capacité de renaître après chaque "accident" que lui inflige Ambroise Ier (ex Grand Coordinateur) pour ne pas perdre sa place. Pour faire court, à la fin du troisième tome, on se demande vraiment où on va, qu'est-ce que c'est que ce monde-là et qui sont ces gens... et pour faire court, à la fin du quatrième tome, on se demande vraiment où on va, qu'est-ce que c'est que ce monde-là et qui sont ces gens... Et si je vous dis que le tome cinq s'intitule Puzzle et le six Les Chemins énigmatiques... vous comprendrez qu'il faut attendre le sept pour avoir réponse à toutes les questions que cette formidable série ne manquera pas de susciter. Bref, si vous aimez savoir qui fait quoi, pourquoi et surtout quand et où, cette BD n'est pas pour vous ! Moi, j'avais une absolue confiance en son créateur, d'autant plus que le tome un est sorti en 1993 : il a eu le temps de peaufiner son scénario, non ? Et puis les dessins sont absolument magnifiques. Les vues de la ville d'Eaux Folles sont d'une précision incroyable et les personnages irrésistibles. J'adore la tronche du Grand Coordinateur avec son grand nez et ses trois cheveux, la très sexy Chlorenthe, le roi rondouillard dans son pyjama rayé rouge et blanc et même son chien ! Les deux patrouilleurs sont d'une bêtise irrésistible et le prince Putatif et ses multiples clones sont tout simplement angoissants. Pourquoi je l'aime cette BD, pourquoi à mon avis il n'y a rien au-dessus ? Parce que c'est beau, très beau, les personnages ont des expressions irrésistibles souvent très drôles, et les vues générales sont d'une minutie extraordinaire. Les couleurs sont belles, très harmonieuses et souvent chaleureuses. Et puis disons que j'aime quand je ne comprends pas tout, quand le scénario rajoute du mystère au mystère, quand on est bousculé dans ses certitudes, que l'auteur nous balade et que chaque nouvelle révélation nous fait reconsidérer toute l'histoire. Voilà, j'ai aujourd'hui la réponse à toutes mes questions mais ça ne m'empêchera pas de re-re-relire ces volumes dans lesquels je trouve de nouvelles choses et de nouveaux sujets d'émerveillement à chaque lecture. Et si vous ne connaissez pas cette série désormais mythique, réjouissez-vous ! Les amateurs de la première heure ont dû en attendre quinze ans le dénouement ! 1 - Eauxfolles, 1993 2 - Pluvior 627, 1994 3 - Turbulences, 1997 4 - Au Turf, 2001 5 - Puzzle, 2005 6 - Les Chemins énigmatiques, 2007 7 - Terminus, 2009 Delcourt